De la chambre (extraits) in Basse def - partage de données. Les presses du réel. p.95-96, p.103, p.116-117

Petites choses
(...). Dans la chambre, il y a donc peut-être des petites choses glanées, mais il s'y trouve aussi des éléments qui ont à voir avec une sorte de "mort de l'effort". Clôde Coulpier a tagué cet hiver sur un mur crasseux de l'université Grenoble 2, avec l'eau pressurisée d'un Kärcher, les mots "The Death of Effort". Et en reprenant le format du TIG (Travail d'Intérêt Général), il rappelait dans le lieu de recherche et de pédagogie qu'est I'université que l'effort ne paye plus, qu'économiquement, dans notre capitalisme, le revenu du travail est devenu risible, etc. Et avec cette simplicité douce et dure qui le caractérise - ici, juste laver un mur; mais le faire "au Kärcher" -, Clôde Coulpier posait la question : pourquoi ne pas rester dans sa chambre ? Pourquoi ne pas y traîner ? Duchamp trouvait à l'ennui un immense potentiel artistique, Perec se contentait souvent de son lit les oeuvres les plus intéressantes de Maurizio Cattelan sont organisées par et autour de sa fainéantise... (...).

Décorer
(...). Ma soeur, mes cousines et leurs amies, série de photographies accrochées par Clôde Coulpier sur un mur de OUI. palpent précisément ce noeud troublant sexualité, espace intime, famille. circulation de l'information. Et avec ses clichés amateurs montrant des adolescentes hilares qui comparent leurs seins ou le galbe de leurs fesses lors de soirées pyjama, Coulpier donne à voir une partie de cette culture mi-étouffante, mi-explosive. En fait II ne donne pas précisément "à voir" et ne s'occupe pas de "dévoiler" ce qu'il se passe dans les chambres comme le ferait un photo-reporter. II pointe plutôt la zone. Parce que concrètement, il ne fait que prélever sur des sites pré-pornographiques - des produits d'appel en quelque sorte - quelques-unes de ces images qui inondent nos ordinateurs. II n'exhibe donc rien : tout est déjà là. II ne fait que reproduire et dire calmement, par des copier/coller typiques de l'ère numérique, qu'il existe aujourd'hui des images fascinantes, et qu'elles forment de site en site, de blog en blog, à la fois le miroir et le prescripteur de nos conduites sociales. La sexualité dans les chambres, certes, mais en circulation, plus que jamais ailleurs, partout. (...)

Paysage
(...). Clôde Coulpier par exemple, avec son majestueux filet troué déjà décrit plus haut, en plus des heures d'activité penché sur une table lumineuse, convoque immanquablement les bords de riviére, Ies paysages où l'eau coule, et les dimanches à taquiner le poisson. Mais le trou inquiétant au milieu du filet empêche d'envisager la sortie en famille. Clôde Coulpier ne s'intéresse d'ailleurs pas au filet de pêche pour cela : rien ici du Bobo qui cherche le contact avec la nature et même s'il est sublime, le filet et son trou semblent plus proches du film Delivrance de John Boorman que des chants d'oiseaux diffusés à Nature & Découvertes. Comme les autres pièces de l'artiste qui évoquent la pêche, il s'agit de se faire peur, d'accepter d'aller à la campagne et prendre soin d'un voisin, même s'il est brutal, même
s'il collectionne des mouches, s'il est raciste et qu'il pue. La pêche c'est aussi ça. Les canettes de Kro balancées dans les fossés, les tartes dans la gueule de "l'autre PD" qu'a rayé mon 4x4". Etc.
Les zones à tension sourde disais-je... The Hole, est un simple dessin, mais c'est aussi une machine à fabriquer de la tension. II lie par la force d'une part la lingerie douce et fine du filet, le corps en action qui dessine patiemment, comme on caresse, et puis d'autre part, la pêche, les poissons morts, le trou noir à cause d'une pierre lancée à la tête, à deux pas du torrent. (...)

Stéphane Sauzedde